La beauté d'Esphir aura toujours été aussi insaisissable que son corps de Spectre. Tantôt on la trouve éblouissante, tantôt on ne lui trouve aucune beauté. Elle est de ces mi femmes mi enfants, dont les traits sont bien trop fins pour qu'on ne puisse dire exactement depuis combien d'années ceux-ci sont présents, dans la foule de vies encore présentes sur Terre. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'elle est femme, à la vue de la silhouette élancée de ce corps fin, dont les quelques rondeurs ne vont jamais dans l'excès, sans pour autant ne pas être attirantes. La frêle macchabée se permet bien souvent de regarder de haut les autres, atteignant le mètre soixante seize sans complexe. Et quel regard ! là est sans doute la grande puissance de sa beauté. Un bleu irréel, transperçant, comme si à la place de ses iris se trouvaient deux pierres étincelantes, polies par les quelques battements de ses longs cils. Oui, ses yeux étaient véritablement les joyaux de ce visage ovale, encadré par quelques boucles et ondulations sauvages tirant entre le blond et le châtain. Pommettes hautes et saillantes, mâchoire presque carrée; son visage est quelque peu enfantin, mais ses lèvres, charnues, appellent pourtant au baiser. Mais sa peau, aussi pâle que celle d'un mort, n'est pas si aisément effleurée.
Sa démarche est légère, très légère. Vous me direz, normal pour un spectre, dont les pas si légers donnent l'impression que l'être de fumée ne foule point le sol, se contentant simplement de flotter avec élégance. Cet ensemble aspire une certaine douceur, un appel à la tendresse. Cet esprit au visage de poupée semble fragile, prêt à s'envoler au moindre coup de vent.

Mais Esphir n'a que faire de sa beauté. Son physique n'est pas le seul concerné par le balancement entre la femme et l'enfant. Le spectre est d'un caractère assez versatile, bien qu'elle soit majoritairement aussi douce que les traits de son visage.

Elle a toujours été généreuse. Elle n'étais pas ange pour rien; donner et se donner pour les autres étaient pour elle une évidence, que sa vie soit en danger ou non. Sa mère avait d'ailleurs toujours regretté qu'elle ait tant de témérité qu'elle en devienne trop audacieuse, jusqu'aux limites de l'imprudence. Oui, Esphir était imprudente. Son éducation a fait qu'elle l'es devenue beaucoup moins, mais une fois devenue spectre, elle pouvait, après tout, se permettre d'être aussi imprudente qu'elle le voulait, du fait qu'elle n'avait plus aucun compte à rendre à personne. Du moins, c'est ce qu'elle pensait. Quoi qu'il en était, elle était cependant d'un sang-froid incomparable, sont visage sachant rester paisible en toute situation, quelque soit la douleur morale ou physique subie. Beauté impassible, seul son regard sait transmettre ses émotions à qui sait y lire. Il arrive pourtant qu'un sourire fende ses lèvres, toujours en douceur, toujours en tendresse. Esphir était réellement faite pour s'occuper des autres, et non d'elle, ne se prenant réellement pas au sérieux. Sa mort lui a octroyé un léger penchant espiègle, ne la laissant pas échapper au caractère farceur des spectres. Cette espièglerie s'accorde parfaitement à son caractère parfois quelque peu enfantin, où la demoiselle est aussi têtue qu'un âne et impossible à raisonner. Son impulsivité lui donne une certaine maladresse dans ses actes, et elle ne tirera pas forcément leçon de ses erreurs, n'étant aucunement de ces personnes rongées par le remord et la rancune. Une seule exception; le remord de ce qui lui a valut la première mort de son âme, alors que son corps respirait encore (cf histoire). Esphir a également cette capacité de s'attacher et se détacher aux gens comme bon lui semble, errant parmi ces corps chauds qui frissonnent lorsqu'elle les frôle.

Ses dons sont tout simplement ceux des spectres, c'est-à-dire celui de pouvoir se téléporter tout comme traverser toute matière. Parfois, sa curiosité la pousse à s’immiscer dans les rêves des autres, juste en être spectateur. A vrai dire, c'est son passe temps favori. Elle maîtrise également la télékinésie, ce qui est plutôt amusant pour effrayer les autres lorsqu'ils ne vous voient pas. Mais elle aura toujours ce profond et douloureux regret de ne plus être un être de chaleur comme les autres.. bien qu'elle est spectre depuis peu, et n'a toujours pas expérimenté toutes les possibilités de sa nouvelle vie.

- Allez Esphir, mets-y un peu du tien !

Je lâchais un soupir et levais les yeux au ciel, alors que je commençais à trouver ce soit disant jeu un peu trop long. Je relevais la tête et avais à peine le temps de me mettre en garde qu'une énorme masse de muscles se ruait sur moi. Je le pris de plein fouet; il me plaqua au sol, m'aplatissant comme si je n'avais aucune résistance ni consistance. Je lâchais un grognement étouffé, alors qu'il se relevait pour me laisser respirer. Décidément, je n'avais vraiment aucune volonté aujourd'hui, et mon père n'en avait toujours que faire. Si je voulais être franche, il y avait des jours avec et des jours sans; mais surtout des jours sans. Je me pliais aux entraînements que mon père m'octroyaient pour que je devienne une ange guerrière aussi robuste que lui l'était, et en avais les capacités; mais voilà, encore fallait-il que j'en ai l'envie.

- Une dernière et après je te laisse tranquille.

Je laissais échapper de mes lèvres un "D'accord" très peu convaincu et me remettais en garde. Je plissais mes yeux, fixant mon père qui commençait à prendre de l'élan. A peine son pied décolla du sol, qu'une petite idée me vint en tête. J'esquissais un sourire en coin, et en une fraction de seconde, une grande paire d'ailes se déployait dans mon dos. Mon père eut à peine le temps d'écarquiller les yeux qu'en un battement vers l'avant, il fut propulsé en arrière par une onde de choc, très minime, juste assez pour le repousser sans lui faire de mal. Après tout, j'étais encore trop jeune pour pouvoir faire quelconque blessure au moindre pauvre humain avec mes ailes, dont je découvrais à peine les capacités destructrices. Et puis, de toute façon, il en fallait plus pour pouvoir blesser mon père. Qui d'ailleurs se relevait, tout en lâchant un rire tonitruant.

- Haha, ça c'est bien la fille de son père !

Je lui adressais un de ces sourires angéliques qui en général amenait toujours à la même situation finale; mon père s'approchait de moi et me serrait dans ses bras robustes, en cette étreinte paternelle unique qui était capable de me remonter le moral quelque soit la situation.

J'étais née de deux anges guerriers, et mon destin était pour eux tout tracé. Ceux-ci s'étaient rencontrés alors qu'ils se livraient à une violente bataille contre des démons en Russie, d'où mon nom aux échos d'Europe de l'Est, plutôt que de rester dans les noms classiques qui couraient les rues de Los Angeles. Ainsi, depuis mon plus jeune âge, mes parents m'entraînaient quotidiennement et avec fermeté, mais surtout efficacité. J'étais de ces gamines qui apprenaient vite, et qui aimaient faire la fierté de leurs parents. Je ne quittais pas ma terre natale, les contrées angéliques, durant l'intégralité de ma première centaine d'années, qui fut la première étape de ma formation d'ange guerrier. La présence d'une paire d'ailes aussi destructrices que celles de mes parents était un signe de plus pour que je suive le même chemin que mes géniteurs, qui comptaient faire de moi la fierté des rangs de ma génération d'anges guerriers. Ce besoin interminable de gonfler leur torse de fierté, je ne l'avais jamais compris. Je ne savais pas de qui je tenais mon humilité et ma modestie, mais ce ne devait sûrement pas être de mon père, qui se vantait et qui me vantait, comme étant la plus prodigieuse et plus talentueuse des jeunes de mon âge. Ce qu'il exagérait sans nul doute, puisque j'étais loin d'avoir cette virulente volonté de devenir guerrier, comme beaucoup d'autres avaient, excellant très tôt dans le combat. Non, j'étais plutôt de tactique défensive, ce que ma mère avait remarqué et que mon père niait, ne voulant pas voir la vérité en face, se bornant à penser que j'étais la guerrière parfaite. Je ne disais rien pour ne pas le décevoir, mais je sentais que je n'avais pas ma place dans cet univers de force et d'agressivité.

Pourtant, la présence de mes ailes destructrice affirmait ma destinée de guerrière, et ma seconde paire d'ailes plus réduite, qui était celle de soin, avait cette étrange particularité de ne pouvoir soigner que mon propre corps, et que si je tentais de soigner quelqu'un d'autre que moi, je perdais considérablement en vitalité, en énergie. A vrai dire, soigner quelqu'un d'autre revenait à lui donner un souffle de vie. Mon propre souffle de vie.
Je l'appris à mes dépens lors de ma seconde centaine d'années, où j'avais fait ma première descente parmi les humains.

Pour mon entraînement, rien de tel que des combats véritables contre quelques hybrides démoniaques. Aussi, mon père avait pris le soin et la responsabilité de m'amener sur Terre, dans un coin des Etats-Unis où on dénombrait une petite population de demi-démons, pas les plus dangereux pour nous, anges guerriers, mais ils représentaient une réelle menace pour la population d'humains qui vivaient terrés juste en dessous de leurs pieds et dans quelques grottes non loin. Mon père voulait me confronter à une véritable situation de défense d'une population humaine, mais il ne pouvait pas se permettre de me traîner dans les bas fonds de Los Angeles où je me ferais égorger en moins de deux par le premier démon qui reconnaîtrait mon aura d'ange. Cette petite ville était donc un terrain d'entraînement parfait, où mes techniques de combats firent leurs preuves, bien que je sois encore d'une grande maladresse et que mon père me sauva la mise à plusieurs reprises. Lors de nos affrontements, nous avions pu récupérer quelques humains qui avaient été blessés et asservis par les démons, dont une jeune femme qui avait été violemment torturée et dont la vie ne tenait qu'à un fil. Lorsque je l'avais retirée des griffes des demi démons et l'avais amenée en lieu plus sûr, je n'avais pas à réfléchir. Je l'enveloppais dans mes ailes réparatrices, et un flux de magie l'enveloppa. Je fermais les yeux, et me sentais me fatiguer, sans pour autant me douter qu'à l'instant où la femme rouvrit les yeux et repris conscience, je perdis la mienne.

Je m'étais tout simplement évanouie, épuisée et presque vide de vie. De cette expérience et de ce que d'autres anges plus anciens me dirent, du fait que je n'étais pas un cas unique, j'appris mes ailes réparatrices avaient un double tranchant; autant leur pouvoir réparateur était puissant pour celui que je soignais, autant leur pouvoir était destructeur pour moi, qui ne devait jamais me risquer à soigner autrui de façon trop intensive, où c'était moi qui y passait. Cette nouvelle m'attrista profondément, alors que je trouvais cette capacité détestablement égoïste. A vrai dire, je n'avais jamais eu l'occasion d'octroyer de tels soins à quelqu'un en danger de mort, et, au risque de passer pour une quelconque masochiste, avoir donné une partie de ma vie à cette femme avait été l'une de mes plus belles expériences. Ma rencontre avec les humains fut alors décisive; je ne voulais plus attaquer, je voulais défendre.

Je voulais protéger.

Mon père fut accablé, lorsqu'à l'aube de mes 360 ans, je fus appelée à protéger. Voilà pourquoi je ne m'étais jamais sentie à l'aise parmi les guerriers; j'étais tout simplement destinée à être l'ange gardien d'Emy Ruby Woodall, une jeune humaine de vingt ans qui s'attirait de bien nombreux ennuis. Je sentis immédiatement ce lien inexplicable se créer entre nous, violent et jouissif, comme si nous ne faisions qu'une. La jeune femme était d'une beauté resplendissante et incomparable, et je ne sais s'il n'y avait que le lien de gardien à protégé qui ne me liait à elle. Au début, je crus que ce n'était que ce n'était que ce lien magique qui me rendait si attachée à Emy, mais au fil du temps passé à l'observer, non, à l'admirer, je compris qu'il n'y avait pas que ça. J'étais tombée profondément et éperdument amoureuse de l'humaine qui était sous ma protection.
Jamais je ne voulus l'avouer, à personne; ni a mes parents, ni à mes soit-disant amis, et surtout pas à elle. Et peut-être encore moins à moi. J'avais du mal à assumer ces sentiments explosifs que j'éprouvais en sa présence, et n'osais même pas me demander si elle ressentait quelque chose de similaire pour moi. Pourtant, j'aurais pu me le demander, alors que mes capacités de télépathie nous permettait de communiquer constamment, et qu'elle me réclamait souvent pour être à ses côtés, même lorsqu'elle était totalement hors de danger.
Je gardais un espoir qu'un jour elle veuille bien partager les mêmes sentiments que j'avais pour elle, jusqu'au jour où elle m'appela et que quand j'arrivais à ses côtés, elle n'était pas seule.

La belle s'était entichée d'un homme. Et pas n'importe lequel; c'était un hybride, un demi-démon. Ou alors, si c'était un humain, il fréquentait indéniablement les démons, du moins, surtout les démones, vu qu'il puait la succube à plein nez. Je voulus prévenir Emy, une fois que nous avions pu nous retrouver seules, mais elle niait et m'accusait de mentir par pure jalousie. Oui, je ressentais peut-être une violente jalousie à l'idée que celle que j'aimais s'était éperdument amourachée d'un homme; mais la haine que je lui vouais, à cet inconnu, était surtout basée sur le fait qu'il couchait à tout va avec l'espèce qui réduisait les humains au statut de jouet vivant, alors qu'il prétendait être le fidèle amour de ma protégée. Je ne pouvais me résigner à la laisser ainsi.
Par tous les moyens, j'avais tenté de lui ouvrir les yeux, mais à chaque fois elle s'énervait contre moi et je ne voulais pas prendre le risque de la perdre. Et elle semblait si heureuse dans ses bras, que parfois je me demandais si je ne devais pas la laisser ignorante et heureuse, plutôt qu'elle ouvre les yeux et que la vérité la blesse trop profondément. Mais cet homme était trop dangereux à mon goût, et je me devais de faire quelque chose.

Le supprimer. Par jalousie.
Faiblesse sentimentale.

Mais erreur impardonnable. En plus d'avoir supprimé une vie par amour, je n'avais pas considéré l'ampleur de mon acte, et lorsqu'Emy appris la nouvelle, je le sus immédiatement, une violente douleur me prenant au coeur. Quelque chose de terrible se passait. Et je n'eus pas besoin de voir le sang dans lequel baignait Emy pour comprendre que sa vie s'échappait, dans les plaies qu'elle s'était elle même infligées, dans une violente impulsion de désespoir en apprenant que son amant vénéré était décédé.

La dernière image qu'il me reste d'Emy fut celle d'un corps presque sans vie, entouré par mes ailes réparatrices dans un bruissement léger.
C'est également la dernière image qui me reste de ma vie d'ange.


Le ciel, le sol, le sang.
Le ciel, d'où je venais. Le sol, où je me mourrais. Le sang, qui me salissait.
Le ciel, le sol, le sang.
Le ciel, où mon âme aurait dû s'élever. Le sol, où mon âme était condamnée à errer. Le sang, dans lequel j'avais trempé mains et plumes, qui me retenait à jamais entre la mort et la vie, me punissant de l'avoir fait couler pour si peu de raison, et pour tant de sentiments.


Pour la première fois, j'éprouvais du remord.
Je ne savais pas ce qu'était devenue Emy, mais je le compris bien vite; mon coeur ne battait plus. En voulant sauver la vie de ma protégée, j'avais rendu mon dernier souffle, jusqu'à la dernière étincelle de vie qui me restait. J'avais donné ma vie pour la sienne. Mais cela avait-il suffit ? Je ne savais pas. Peut-être que oui, peut-être que non. Je ne la voyais pas, je ne pouvais le savoir. Mais une chose était sûre, qu'elle soit en vie ou non, si mon âme n'était pas partie se reposer et restait coincée entre la vie et la mort, c'était bien parce qu'elle n'était pas en paix. Jamais, jamais je ne pourrais me pardonner d'avoir tant fait souffrir l'être qui m'était le plus cher, jusqu'à la mener indirectement à sa propre perte. Même si j'en avais payé le prix, en sacrifiant ma vie pour la sienne, j'étais impardonnable. Impardonnable.

Cela fait quelques mois, ou peut-être quelques années, que je suis sous ma forme spectrale. A vrai dire, depuis que je suis morte, je ne compte plus vraiment les jours. J'erre dans les rues, silencieuse et invisibles, frôlant les passants, leur donnant de longs frissons lorsqu'ils traversent involontairement une partie de mon corps. D'abord, on se frustre. On panique. On traverse les gens sans qu'ils ne le sachent, on traverse les murs, le sol, tout. On essaye de saisir quelque chose, il n'en est rien; vos doigts passent au travers, comme on glisserait ses doigts dans de l'eau. Tout est aussi insaisissable que votre corps; et je peux vous le dire, c'est terrifiant. C'est horrifiant. Plus personne ne vous vois, ne vous entend, ne vous sent, ne vous touche, rien. On se retrouver terriblement seul, seul avec son âme en peine, à regarder les autres vivres, survivre, mourir. On voit leur âme s'en aller, rejoindre le ciel, rejoindre les limbes; mais jamais une seule ne reste comme vous, entre deux mondes, pour vous tenir compagnie. Il est terriblement égoïste d'espérer qu'une autre âme soit aussi rongée de remord que la votre, tout simplement car vous rêvez d'avoir une seule compagnie pour vous, quelqu'un à qui parler; mais au final, vous vous dîtes que personne ne vous rejoindra, que vous êtes voués à vivre dans une éternelle solitude, tout au long de votre mort. Je savais ce qu'étais un spectre, et je savais qu'il y en avait plusieurs qui erraient sur la Terre; mais je n'avais pas encore eu l'occasion d'en croiser, dans les quelques endroits où j'errais. Peut-être bien parce que je ne me déplaçais guère et avais encore du mal à me détacher de cette petite ville où vivait celle que j'aimais, la recherchant sans relâche et sans succès. Quelque chose me soufflait qu'elle était en vie et que j'avais pu la sauver.. Mais où avait-elle bien pu partir ? En tout cas, elle n'était plus là, et je gardais encore l'espoir qu'un jour je puisse admirer à nouveau son visage dans cette petite ville.

Et puis, après quelques temps à se morfondre et à pleurer des larmes que personne ne voudras sécher, on commence à s'habituer à la solitude, et même à en jouer. On se découvre cette étrange capacité à soulever les objets selon sa volonté, on encore on découvre qu'on peut prendre possession d'un corps. Un exercice compliqué qui m'a demandé beaucoup de travail et d'énergie, mais après tout, quand on est mort, on a tout son temps pour se reposer. Et puis, sinon, on s'amuse à faire irruption dans les rêves des autres, pour en être le spectateur. On découvre qu'on peut se rendre visible aux autres, juste le temps de leur faire une frousse passagère. Ou juste pour sentir un regard sur soi, tout en sachant que ça n'ira jamais plus loin, puisque vous avez peur de la réaction de l'autre à l'instant où il vous touchera. Parce que même dans le cas où vous faites l'effort de vous rendre palpable, vous comprenez immédiatement au frisson de votre interlocuteur que vous êtes glaciale, ou que la sensation que vous donnez d'être est étrange, inhabituelle. Alors vous essayez d'y remédier, prenez diverses formes, plus ou moins visqueuses, et vous vous fatiguez. Chaque jour, une fois qu'on a récupéré, on tente le tout pour le tout, repousser ses limites. On s'ennuie, seul, et on acquiert petit à petit ce penchant espiègle qu'ont la plupart des spectres. Comprenez nous, et notre commun côté farceur; nous nous ennuyons mortellement au out d'un moment, morts parmi les vivants.

Et puis, de temps en temps quand un enfant n'arrive pas à s'endormir, on se glisse dans son corps juste pour l'apaiser et qu'il tombe dans un profond sommeil dont il se réveillera apaisé, d'une douce nuit remplie de jolis rêves, où un ange aux yeux de cristal et au tendre sourire vient le protéger de ses grandes ailes immaculées.

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